Dans le cas de la recherche documentaire, c'est le bibliothécaire qui joue le rôle d'intermédiaire
entre l'utilisateur et l'information. L'institution bibliothèque a également son épingle à
tirer en proposant directement à l'utilisateur un accès à l'Internet.
Plusieurs raisons ont poussé les bibliothécaires et les documentalistes à réfléchir
sur ce nouveau service à proposer aux lecteurs. Une réflexion qui doit se dérouler dans une
certaine logique :
- si l'on considère que la bibliothèque doit s'efforcer d'approfondir ses services actuels, déjà
malmenés par les restrictions budgétaires, alors il est inutile de se lancer dans la voie de documents
électroniques dont on ne connaît pas très bien la nature et l'utilisation ;
- si au contraire, on pense que les missions traditionnelles de la bibliothèque poussent à acquérir,
traiter et diffuser ces documents, alors la conséquence logique est de réfléchir à
l'accès direct du public aux nombreuses informations de l'Internet.
Pourquoi proposer l'accès
La mission principale d'une bibliothèque est d'assurer l'égalité de tous dans l'accès
à l'information, la connaissance et le savoir. L'Internet est encore un phénomène élitiste
qui ne touche pas tous les ménages : la bibliothèque peut offrir l'accès à certaines
ressources électroniques, au même titre qu'elle offre l'accès à de coûteuses encyclopédies.
Certains services de l'Internet, de par leur coût, sont en outre destinés à l'usage d'institutions
et non de particuliers ; là encore la bibliothèque a un rôle d'intermédiation à
jouer. Enfin, la bibliothèque est un lieu de découverte et d'initiation à la lecture aux sciences...
L'Internet peut être un formidable outil complémentaire de découverte.
Les points clés de la réflexion à mener
Plusieurs bibliothèques s'apprêtent donc à franchir le pas pour proposer à leurs
lecteurs des postes de consultation où ceux-ci pourront librement consulter les ressources disponibles sur
l'Internet. Cependant de nombreux problèmes se posent, tous d'une ampleur différente selon le contexte
d'implantation.
Pour les bibliothèques universitaires connectées à Renater, la connexion
ne pose pas de difficultés ; pour toutes les bibliothèques municipales ou spécialisées,
le coût de la mise en réseau peut s'avérer un obstacle délicat. Le déploiement
de Renater II, à vocation plus large que son prédécesseur, et la volonté politique
de certaines collectivités locales pourraient permettre la connexion de nouvelles bibliothèques dans
les années à venir.
L'achat de nouveaux micro-ordinateurs relativement puissants (Pentium) pour un usage public intensif représente
également un effort budgétaire important.
L'ouverture d'un nouveau service de ce type implique la préparation de séances de formation pour
le personnel et pour le public.
Nous avons évoqué le problème de la formation du personnel dans la première partie
de ce chapitre. Mais dans le cas d'un accès au public, le personnel devra être formé à
répondre aux questions des usagers, à les guider dans leurs recherches ; ce qui suppose un personnel
fortement sensibilisé aux caractéristiques du Réseau.
Pour le public, il s'agira d'organiser des sessions régulières d'initiation à l'utilisation
des logiciels de consultation, mais également de sensibilisation à la nature des informations que
l'on peut trouver sur l'Internet. Il faut arriver à dépasser l'effet de mode provoqué par
l'enthousiasme des médias pour intégrer les postes de consultation dans l'ensemble des services de
la bibliothèque. Les postes doivent se fondre dans les salles de lecture, ils ne doivent pas en devenir
l'attraction principale. Ces formations pourront donc être l'occasion d'une revalorisation des différents
services proposés. Une anecdote est assez éclairante : un jour que nous nous
trouvions à la Bibliothèque publique d'information, nous avons rencontré aux postes de consultation
une personne qui recherchait le Kompass en ligne. Un autre lecteur était persuadé avoir déjà trouvé
ce service sur l'Internet ; nous avions beau expliquer qu'un service à forte valeur ajoutée
et payant de surcroît ne pouvait, malheureusement, devenir gratuit du jour au lendemain grâce à
l'effet magique d'Internet, le lecteur ne voulait rien savoir. Les recherches furent évidemment vaines et
la personne préféra se tourner vers les postes de consultation des CD-ROM qui proposaient le Kompass.
Cet exemple montre tout à fait la complémentarité qui peut exister entre différents
supports d'information.
La formation doit être l'occasion de quelques rappels sur les droits d'auteur auxquels les documents électroniques
ne dérogent pas. L'apparente gratuité du Réseau donne ainsi l'impression que tout ce que tout
ce que l'on peut y consulter est gratuit et que tout ce que l'on peut réellement dupliquer gratuitement
est utilisable et modifiable sans aucune autre forme de procès. Nous avons évoqué dans la
partie précédente (II.2) les questions relatives au droit d'auteur appliqué aux documents
électroniques. Tous les points du droit s'appliquant au document (droit de reproduction, de citation, droit
moral...) doivent être rappelés.
Un autre problème de nature éthique se pose : beaucoup de bibliothécaires craignent
que les postes d'accès n'attirent que des gens " victimes de la mode " et transforment
le coin des catalogues en une joyeuse foire branchée. A ce problème en est lié un autre :
doit-on laisser l'accès totalement libre au Réseau, au risque de voir certaines personnes consulter
des sites douteux, ou bien doit-on n'autoriser l'accès qu'à certains sites seulement, dénaturant
du même coup les potentialités de l'Internet ?
" Evidemment nous ne souhaitons pas voir notre médiathèque se transformer
en un cyber-café gratuit. Il faudrait donc trouver un moyen pour empêcher l'utilisateur de sortir
de certaines limites (service du ministère des Affaires étrangères : OUI, celui de Playboy :
NON !) ".
Le problème de la sélection, et par là même de la censure, est
un problème délicat à aborder. Dans un contexte où certaines bibliothèques se
voient " conseillées " dans leurs acquisitions par l'autorité municipale, les bibliothécaires doivent faire
preuve d'une grande vigilance afin que la bibliothèque demeure ce lieu d'ouverture d'esprit qu'elle s'est
toujours efforcé d'être.
Les bibliothèques ont toujours été considérées comme des
relais de diffusion de l'information. Cette fonction se voit confirmée lorsque la bibliothèque propose
un accès public à l'Internet. Celle-ci se retrouve ainsi au milieu du débat sur la responsabilité
des fournisseurs d'accès à l'Internet déclenché par la découverte d'images pédophiles
parmi des messages diffusés, entre autres, par deux sociétés. Un débat a été lancé par le chapitre
français de l'ISOC (Internet Society), sur les degrés de responsabilité des différents
acteurs. Si la question est loin d'être tranchée dans les faits, les bibliothécaires
doivent dès à présent s'informer sur les tenants et les aboutissants de ce problème
et prendre position, par leur réflexions et leurs actes.
Des logiciels existent déjà pour filtrer les pages Web à
l'aide de mots-clés afin de bloquer tout serveur pornographique ou " politiquement non correct ". Mais la situation devrait
grandement évoluer d'ici peu avec la définition par le W3Consortium d'un nouveau standard pour les serveurs Webs : PICS (Platform
for Internet content selection). Chaque service sera noté selon plusieurs critères, ce qui permettra
une censure, une sélection pardon, à la carte.
En attendant ces évolutions techniques, la bibliothèque peut fixer par règlement les droits
et les devoirs de chaque utilisateur des postes de consultation : plutôt que de restreindre bêtement
l'accès, les choses peuvent se dérouler contractuellement.
Si la bibliothèque décide d'offrir un accès à l'Internet à
ses utilisateurs, cela suppose qu'elle joue pleinement son rôle de médiateur. Afin de guider le lecteur
dans le dédale des services, elle peut constituer une page d'accueil où l'on pourra trouver une liste
thématique de liens permettant un bon début de recherche ou de " butinage ". Cette liste pourra comprendre
des services institutionnels fiables, mais également des liens plus personnalisés, par exemple en
rapport avec des expositions de la bibliothèque. Il faut bien appréhender le travail de mise à
jour qu'entraîne la constitution d'un tel index, qui pourra éventuellement être adapté
de la liste réalisée en interne par les bibliothécaires.
L'exemple de la BPI
Plusieurs bibliothèques universitaires proposent déjà l'accès à l'Internet
à leurs étudiants, mais on recense encore bien peu de bibliothèques publiques. La bibliothèque
municipale de Lyon, qui dispose déjà d'un réseau de stockage et de diffusion de documents
multimédia, propose ce service à ses lecteurs.
La Bibliothèque publique d'information du centre Beaubourg ne pouvait évidemment
pas rater l'occasion d'expérimenter cette nouvelle source d'informations. Depuis le 28 juin 1995 c'est chose faite, avec sept postes
de consultation dans la bibliothèque et deux postes dans la salle d'actualité. La
consultation est gratuite et en accès libre, sans rendez-vous. Chaque poste est doté d'un logiciel
Mosaic qui permet la
consultation du Web ainsi que des serveurs telnet, mais les fonctions de transfert de fichiers et de messagerie
sont impossibles. Les postes ne permettent pas non plus les tirages sur imprimante et le télédéchargement
sur disquette.
Au-dessus de chaque écran, un petit panneau vient rappeler aux utilisateurs que les consultations sont
limitées à quarante-cinq minutes et que les jeux et messageries sont interdits. Les postes sont continuellement
occupés mais, même un an après la mise en route, on ne peut que constater la persistance du
phénomène de mode. D'autant plus que quatre postes ont été curieusement
disposés avant l'entrée de la bibliothèque, isolés des salles de lecture, comme si
l'on avait voulu les mettre en avant par rapport aux autres supports d'information. Trois autres postes sont installés au premier étage,
près des postes de consultation du catalogue et des CD-ROM. Cette disposition est plus judicieuse pour intégrer
véritablement l'Internet au sein de la bibliothèque.
La BPI a réalisé à l'occasion un petit guide intitulé " Internet à
la BPI " tout à fait clair et dont nous nous permettons de citer les rubriques en exemple :
- ce qu'est Internet,
- Internet à la BPI,
- ce que vous pouvez trouver,
- mode d'emploi,
- formation,
- pour aller plus loin.
Que ce soit pour consulter le catalogue, des CD-ROM ou bien encore des services distants,
le micro-ordinateur est de plus en plus présent dans la relation entre l'usager et sa bibliothèque.
La notion stricte d'OPAC
en est remise en cause. Si celui-ci, au lieu de désigner tout simplement le catalogue
local, devenait un véritable outil de recherche, des notices de ressources numériques pourraient
être y incluses.
Cet élargissement du catalogue " hors-les-murs " demande encore des progrès en
ce qui concerne la fiabilité des adresses sur l'Internet et une réflexion sur les missions même
de la bibliothèque. Il est néanmoins concrètement appliqué dans quelques
bibliothèques, avec dans un premier temps l'inclusion dans l'OPAC de menus d'accès aux CD-ROM possédés
par la bibliothèque. L'expérience de la bibliothèque de Valenciennes, dont l'OPAC intègre des illustrations sonores et visuelles,
ainsi que l'accès aux CD-ROM, est le sujet de débats sur la nature du catalogue informatisé
que doit proposer aujourd'hui une bibliothèque à son public. A l'instar du poste
de travail du bibliothécaire,
le micro-ordinateur devient le point de convergence de ressources jusqu'à présent disséminées :
une sorte de porte unique donnant accès à la bibliothèque et à ses consoeurs, les " bibliothèques
numériques ".
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