Premier acte, la scène se passe aux Etats-Unis, dans le milieu de la Recherche, et non celui des bibliothèques.
Au milieu des années soixante, la puissance de calcul (ou son absence) était le critère principal
d'utilisation des ordinateurs. Les chercheurs utilisaient leurs gros calculateurs en mode " temps partagé " :
des câbles reliaient physiquement les terminaux dans les laboratoires à des ordinateurs centraux qui
traitaient la charge de plusieurs utilisateurs. Ces centres de calculs étaient vitaux pour la Recherche ;
mais progressivement chaque laboratoire en vint à se connecter à plusieurs sites, grâce à
des terminaux dédiés à chaque application.
L'idée apparut donc qu'il serait plus judicieux d'" interconnecter " ces centres
de calcul hétérogènes, afin de pouvoir les utiliser à partir d'un seul terminal de
consultation.
Cette époque connaissait également la terreur - stimulante ? - de la " Guerre froide ".
L'armée américaine désirait se doter d'un réseau de communication indestructible en
temps de guerre, non pas grâce à la robustesse exceptionnelle de ses composants, mais bien plutôt
du fait de son caractère décentralisé. C'est peut-être l'aspect le plus innovant du
projet de recherche lancé par l'Arpa (Advanced research project agency) : à l'encontre
de tous les principes de réseau centralisé en vigueur à l'époque, le mode d'interconnexion
ne devait reposer sur aucun ordinateur central - cible potentielle. Plutôt que d'établir des circuits
permanents pour les données (un peu comme le téléphone), ces dernières seraient découpées
en " paquets " pouvant emprunter chacun des voies différentes pour arriver à
leur but. Autrement dit, alors que les applications traditionnelles utilisaient des câbles dédiés
pour relier serveurs et terminaux, les informations allaient désormais emprunter plusieurs chemins pour
arriver au même but.
Comme on peut le constater, ce projet était destiné à la Recherche, il était hors
de question de créer la galerie commerciale et le lupanar que l'on nous promet dorénavant.
En 1969 était défini le Network control protocol, un protocole d'interconnexion qui allait
permettre l'année suivante de mettre en réseau quatre grandes universités américaines :
Stanford à San Francisco, les universités de Californie à Los Angeles et à Santa Barbara,
et enfin l'université de l'Utah à Salt Lake City. L'Arpanet était né.
En 1972, une quarantaine d'institutions américaines étaient connectées. La première
conférence internationale sur les ordinateurs et les communications à Washington fut l'occasion de
la première démonstration publique d'Arpanet. Un groupe de travail inter-réseaux fut mis en
place pour définir un protocole d'interconnexion de réseaux indépendants.
Deux ans plus tard, Vint Cerf et Robert Kahn accouchaient de deux beaux bébés : TCP (Transmission
control protocol : protocole de contrôle de la transmission) et IP (Internet protocol :
protocole d'interconnexion de réseaux). Si les nouveaux-nés bénéficiaient du génie
de leurs papas, ils allaient devoir attendre six ans pour connaître le succès : en 1980 la Darpa
décida de concéder les protocoles au domaine public.
Dans les années suivantes, les centres de recherche s'équipèrent en grand nombre de machines
UNIX, qui intégraient en standard les protocoles TCP-IP. Les gestionnaires de réseau adoptaient progressivement
ces protocoles standards, gratuits et non-propriétaires (non liés à un constructeur informatique).
En 1983, l'Arpanet (on est encore loin de parler de l'Internet !) abandonna définitivement le protocole
NCP pour basculer définitivement en TCP-IP.
Attention, Arpanet n'est pas l'Internet, en d'autres termes, on ne peut réduire l'Internet à une
seule initiative de développement. Tout au long de sa courte histoire, plusieurs réseaux se sont
agrégés pour former l'Internet. Et d'abord aux Etats-Unis.
En 1976, la mise au point du logiciel UUCP (Unix to Unix copy program) donne naissance au réseau
UUnet, que l'on allait appeler Usenet et qui constitue aujourd'hui la partie " news " de l'Internet.
En 1979, la National science foundation (que l'on pourrait rapprocher du CNRS en France) décide
de financer la création du réseau CSnet, pour les centres de recherche qui n'ont pas la chance d'appartenir
à l'Arpanet. Ce réseau allait doucement s'éteindre du fait de la création en 1986 du
NSFnet qui allait remplacer l'Arpanet dans son rôle de coeur du réseau.
En 1981, IBM se lance aussi dans l'aventure en créant le réseau BITNET destiné aux nombreux
centres de recherche qui utilisent à l'époque des ordinateurs IBM. Ce réseau est principalement
destiné à la messagerie et à l'échange de fichiers.
Tous ces réseaux ont d'abord créé des passerelles communiquant en TCP-IP avec le reste
de l'Internet, pour ensuite devenir eux-mêmes une partie de l'Internet.
Les choses se sont mises en place progressivement, en partant le plus souvent de la base ; les réseaux
locaux de centres de recherche ont adopté tour à tour des protocoles d'interconnexion et ont décidé
de se relier physiquement à d'autres centres, sous la coupe d'un réseau particulier.
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