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  Dans ce second chapitre nous allons nous tourner vers le bibliothécaire. En quelle mesure sa profession peut évoluer du fait de l'Internet, quelles nouvelles missions peut-on dégager, mais également quels problèmes humains entrent en jeu, comme lors de toute évolution professionnelle.



La découverte de la jungle informatique




Si l'on est encore loin du " cyberthécaire " décrit par une presse professionnelle ne ménageant pas son enthousiasme, il est clair que de nouvelles fonctions sont apparues pour certains bibliothécaires. Le titre de ce chapitre est donc un pied-de-nez à un néologisme médiatique qui porte néanmoins en lui une certaine signification.

Cette première partie se fonde en grande partie sur l'expérience de l'auteur à la bibliothèque centrale de l'Ecole polytechnique qui, en plus de ses fonctions de bibliothécaire " traditionnel ", s'est vu confier en 1994 la charge du parc des micro-ordinateurs compatibles PC.

Jusqu'à présent, les bibliothécaires utilisaient des terminaux qui leur permettaient de travailler sur un ordinateur central IBM. Devant la baisse des coûts des matériels et le développement des logiciels, il convenait d'investir progressivement dans des micro-ordinateurs dits " intelligents ", pour se ménager une architecture informatique ouverte.

Les premiers micros-ordinateurs ont été équipés des logiciels nécessaires à l'Internet par le service informatique. Mais très vite, il est apparu que la personne s'occupant à la bibliothèque de l'équipement en micro-ordinateurs pourrait également prendre en charge leur installation logicielle. Un bibliothécaire est donc devenu une sorte de relais entre ses collègues et le service informatique de l'Ecole.

Dans d'autres institutions, l'évolution n'a pas été la même, les informaticiens gardant un rôle prédominant dans l'équipement des services. Néanmoins, les personnes non-informaticiennes les plus motivées ont souvent voulu prendre part à cette tâche ; cela ressort de nombreux articles de la presse professionnelle où des bibliothécaires relatent leur participation active dans des projets de nature informatique.

Nous avons donc entrepris dès septembre 1994 une " auto-formation " au Réseau et à ses complexités. Expérience passionnante, mais grande consommatrice de temps. Car si tous les prestataires d'accès et tous les magazines occultent volontiers le " chemin de croix " que constitue parfois la connexion d'une machine au Réseau, les utilisateurs de micro-ordinateurs comprendront la difficulté de la tâche : les " plantages ", " incompatibilités " et " conflits " deviennent vite monnaie courante.

Quelques connaissances étaient donc requises : système d'exploitation DOS, interface graphique Windows...

Aujourd'hui, chaque bibliothécaire dispose sur son bureau d'un compatible PC équipé ainsi :

- une carte réseau pour se connecter à l'ordinateur central IBM (qui abrite toujours notre catalogue informatisé),

- une carte réseau pour se connecter au réseau Ethernet de l'Ecole, permettant de sortir sur l'Internet.

Sur le plan logiciel, chaque machine est équipée avec les logiciels suivants :

- les logiciels de bureautique de base (traitement de texte, tableur),

- une " pile " TCP-IP, petit logiciel qui permet à tous les autres programmes de communiquer sur le réseau selon les protocoles de l'Internet,

- un logiciel de telnet, pour émuler un terminal,

- un logiciel de FTP, pour pouvoir télédécharger des fichiers,

- un logiciel de messagerie,

- un logiciel " butineur " pour le World-Wide-Web.

A l'origine, nous avons commencé uniquement avec un telnet et un logiciel FTP. Puis nous avons télédéchargé tous les autres logiciels, que nous avons enregistrés sur des disquettes qui permirent d'équiper les autres machines. Plusieurs serveurs proposent les programmes indispensables à la connexion sur l'Internet. L'IFLA.net se distingue encore dans ce domaine, puisqu'il présente une collection importante de logiciels à l'intention des bibliothécaires.

Il est important de bien connaître le statut des logiciels que l'on télédécharge. Si beaucoup de logiciels récupérables sur l'Internet sont des freewares, la plupart sont des sharewares dont il faut veiller à respecter les conditions d'utilisation, voire à acquérir les licences correspondantes. Beaucoup d'utilisateurs ont tendance à télédécharger une grande quantité de ces programmes écrits par des amateurs éclairés, il conviendra de les sensibiliser à la valeur des logiciels. Netscape Navigator lui-même est contrairement aux apparences un logiciel commercial ; il est cependant totalement gratuit pour les écoles et les universités.

Maintenant que nous possédons un serveur de CD-ROM auquel tous les bibliothécaires peuvent accéder, les logiciels y ont été copiés et sont télédéchargés à loisirs suivant les mises à jour.

L'évolution du poste de travail symbolise une évolution possible du métier. Auparavant, les fonctions étaient nettement séparées : le bibliothécaire travaillait depuis son terminal sur le catalogue et le secrétariat prenait en charge tous les travaux de dactylographie. Cette organisation perdure, mais désormais le bibliothécaire dispose d'un poste de travail aux fonctions beaucoup plus étendues : il peut toujours travailler sur le catalogue, mais aussi communiquer, chercher et obtenir de l'information, la mettre en forme, la diffuser. On assiste ainsi à un phénomène de convergence des outils de travail.




Les problèmes de l'apprenti informaticien




Cependant tout n'est pas si simple, plusieurs problèmes se posent à l'apprenti informaticien.

La mise à jour des logiciels est de plus en plus fréquente, en raison du rythme de sortie de nouvelles versions de plus en plus soutenu. La démarche est en elle-même assez simple : on ramène le logiciel depuis son serveur jusque sur notre machine, on le copie sur le serveur local de la bibliothèque, puis on l'installe sur les machines des bibliothécaires. Cependant ces logiciels ont une tendance fâcheuse à grossir en taille et à devenir très gourmands en puissance. Le Navigator de Netscape est le principal visé, puisque sa version 2 est très lourde et nécessite, pour tourner correctement, des machines relativement puissantes. Et Netscape s'apprête à sortir à la rentrée la version 3 de son logiciel ! Cette évolution très rapide fait ressentir d'autant plus cruellement le vieillissement d'un parc informatique qu'une institution ne peut renouveler tous les ans.

Une autre difficulté provient de la nature même de ces logiciels. Ils ont en effet pour la plupart été conçus par des chercheurs et des universitaires qui, fidèles à l'esprit pionnier du Réseau, ont souhaité les mettre à la libre disposition de tous les internautes. On ne peut donc pas attendre de ces logiciels une fiabilité égale à celle d'un produit issu d'une grande société telle que Microsoft. Les utilisateurs lambda ont souvent du mal à comprendre cet état de fait : ces logiciels ne sont pas parfaits, mais ils ont le grand mérite d'exister et d'être - presque tous - gratuits !

Une fois que les postes des bibliothécaires sont connectés sur l'extérieur, un autre danger guette : les virus. Ces terribles bestioles peuvent se glisser dans les fichiers exécutables pour accomplir divers méfaits sur le poste de la victime et pourquoi pas se reproduire sur le réseau interne. Sans sombrer dans la paranoïa, il faut sensibiliser tous les utilisateurs à la nocivité de ces parasites et leur enseigner les quelques précautions à prendre pour les détecter : modération dans les télédéchargements, utilisation systématique d'un logiciel antivirus.

La vogue pour l'Internet a suscité la création sur le Web de pages " sons et lumières " qui nécessitent pour fonctionner des logiciels auxiliaires en pagaille. On ne peut pas suivre, dans un cadre professionnel, tous ces développements clinquants mais souvent mineurs. Il faut faire un choix en fonction de la pertinence pour le travail des bibliothécaires. Ainsi, dernièrement, le logiciel Acroread d'Acrobat a été installé sur toutes les machines, car il est de plus en plus utilisé pour visualiser des documents avec une forte mise en page. Mais il n'en a pas été de même de l'utilitaire RealAudio, qui permet d'écouter de la musique ou des commentaires vocaux en temps réel, car son utilité n'était pas encore évidente pour notre métier. Il y a donc tout un travail de veille technologique à exercer, pour tester les nouvelles versions de logiciels installés, et pour découvrir de nouvelles applications intéressantes.

Enfin, il faut se rendre à l'évidence : si l'on veut faire une utilisation optimale des ressources de l'Internet, hormis la consultation de pages Web, une certaine pratique est nécessaire. En effet, il faut comprendre par exemple en quoi consiste un télédéchargement de fichier, il faut ensuite savoir comment décompresser ce fichier, avec quels utilitaires, puis comment l'utiliser, avec quel logiciel.

Des logiciels tels que le Navigator de Netscape tendent à englober toutes les fonctions qui nécessitaient auparavant un logiciel spécifique (FTP, gopher, messagerie, news). On peut ainsi penser que la seule possession de ce logiciel suffira à exploiter pleinement le Réseau. Il n'en reste pas moins qu'une bonne connaissance de chaque mode de communication est indispensable.




Un peu de pédagogie : la formation du personnel




Ce qui nous amène au problème de la formation du personnel. Cette formation doit être prise en amont pour commencer avec les rudiments du système d'exploitation du micro-ordinateur. Si l'utilisateur n'a pas besoin de connaître les détails du fonctionnement de sa machine, il doit cependant connaître les voies d'accès aux différents logiciels ainsi que les méthodes de traitement (localisation, copie, déplacement) des fichiers.

Au printemps 1995, nous avions organisé une formation pour le personnel de la bibliothèque. Celle-ci comprenait deux cours de découverte du micro-ordinateur et trois cours sur l'Internet et les différents logiciels d'accès. Malheureusement tout le monde n'était pas équipé à l'époque, et cette formation n'a pas pu donner toute la mesure espérée. A titre indicatif, nous donnons le plan succinct de cette formation.

  • Introduction au micro-ordinateur et à Windows (2 heures).
  • Pratique de Windows et découverte du Macintosh (2 heures).
  • Introduction générale à l'Internet (2 heures).
  • Les différents types de services ainsi que les principaux logiciels clients (2 heures).
  • Pratique de quelques logiciels ; découverte d'adresses utiles (2 heures).

Maintenant que tous les collègues sont équipés, une nouvelle session serait nécessaire pour remettre le personnel à niveau. Faute de temps et peut-être de motivation du personnel, cette formation n'a pas encore eu lieu.

Plutôt que de bénéficier d'une formation commune, le personnel se retrouve avec des niveaux de pratique tout à fait inégaux. Le " cyberthécaire " de service doit ainsi pratiquer une assistance ponctuelle, qui lui coûte beaucoup plus de temps. Il faut donc s'efforcer d'organiser des sessions de formations régulières : le bibliothécaire se mue en informaticien, mais également en pédagogue !



Les résistances rencontrées




Nous sommes encore au début du développement de l'Internet dans les milieux spécifiques que sont les bibliothèques et les centres de documentation. Les outils se simplifient, le Réseau s'étend, mais la dimension humaine demeure, avec ses résistances diverses.

Le temps est un problème pour tout le personnel. Comme nous le disions, il faut un certain temps pour dominer les différents logiciels installés ; ce temps ne semble pas être à la disposition du personnel qui semble réticent à s'investir dans un Réseau apparemment plus propice à la médiatisation qu'au travail professionnel. Ce problème se retrouve dans le milieu des chercheurs. Bien que l'Internet soit issu de laboratoires de recherche, beaucoup de chercheurs rechignent encore à gaspiller un temps trop précieux à chercher au hasard des données qui peuvent leur provenir par d'autres canaux. Le moyen de " mettre le pied à l'étrier " à certains est de leur montrer des ressources qu'ils auraient peut-être pu avoir par d'autres moyens, mais beaucoup plus difficilement. En ce qui concerne l'Internet comme toute autre technologie, c'est le contenu qui finit toujours par primer sur le contenant.

Les utilisateurs sont souvent perdus devant la complexité d'utilisation des données du Réseau. Il s'ensuit un découragement annonciateur du désintérêt. On nous dit maintenant depuis une dizaine d'années que l'informatique doit servir l'humain et non l'inverse, ce qui devrait effectivement être le cas. Mais l'on doit bien se rendre compte qu'en ce domaine, malgré ce que nous clament tous les médias, le désir d'apprendre et la motivation sont les points de départ incontournables à toute pratique informatique. Les utilisateurs ne comprennent pas que tout ne soit pas encore d'une simplicité évangélique. Cette complexité est d'ailleurs renforcée par l'hétérogénéité des logiciels utilisés.

Un problème linguistique se pose également. La grande majorité des pages du World Wide Web sont rédigées en anglais, ce qui peut s'avérer rédhibitoire pour les personnes ne maîtrisant pas cette langue.

Enfin, l'esprit de réseau ne s'acquiert pas systématiquement : au sein de la bibliothèque, peu de personnes utilisent encore le courrier électronique ou sont abonnées à des listes de diffusion professionnelles.

Ce constat d'une offre pléthorique face à une demande peu organisée est encore très difficile à analyser. Il tient en premier lieu à la lenteur de pénétration des nouvelles technologies dans les usages. Les besoins ne sont pas encore assez forts pour susciter une grande mobilisation. Pourtant il faut bien constater qu'à chaque fois qu'une demande est satisfaite par l'Internet, l'utilisateur comprend la valeur ajoutée de cette technologie.

La motivation doit aussi venir des cadres et des dirigeants ; ceux-ci doivent reconnaître la place et le rôle que peuvent tenir les réseaux de communication au sein de leur organisme. En outre, les formations en sciences de l'information comprennent de plus en plus la notion de réseau dans leurs enseignements, l'intégration du nouvel outil Internet se fera d'autant mieux par les nouvelles générations de professionnels.

Nous sommes à une époque charnière où les choses évoluent paradoxalement très vite et très lentement. Il est cependant certain que face aux nombreux bouleversements que nous allons connaître, ne serait-ce que dans la production éditoriale, la profession va connaître des évolutions dans ses missions. Ces nouvelles missions créeront de nouveaux besoins, qui créeront à leur tour de nouveaux usages.


Une nécessaire coopération Les documents électroniques


Notes
Le terme provient d'une traduction du néologisme anglais " cybrarian " et apparaît la première fois dans la presse professionnelle en 1994 : Bauwens, Michel. - Le temps des " cyberothécaires " ? Entretien. - Documentaliste - Sciences de l'information, 1994, vol.31, n°4-5, p.233-237.

L'intelligence se résume dans ce cas à la faculté de traiter et de stocker de l'information, chose que ne faisaient pas les terminaux.

Pour la définition de ces logiciels, ainsi que pour les adresses des serveurs auprès desquels se les procurer, consulter l'annexe " Logiciels " de la version papier du mémoire ;-).

http://www.nlc-bnc.ca/ifla/II/software.htm

Graticiel : logiciel complètement gratuit.

Partagiciel : logiciel soit complet fourni dans une version dont l'utilisation est limitée dans le temps, soit incomplet, dont l'intégralité est acquise après achat de la licence.

Nous avons vu dans le premier chapitre qu'il était utilisé par Libération et Le Monde pour afficher leur une quotidienne.

Pour gagner de la place sur les serveurs, certains fichiers sont compressés deux fois ; l'utilisation de tels fichiers est un beau casse-tête pour le débutant.


©Olivier Roumieux, 1996.

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